Nielsen Ad Intel 2022, out of home vs out of sync

Deux faits majeurs à la lecture des résultats cumulés de la pige quantitative sur les 12 mois de 2022, qui viennent d’être rendus disponibles.

Le premier est la récupération pour les médias « out of home » : ce qu’on appelle aussi la « publicité extérieure », l’affichage si vous le préférez, termine l’année avec un cumul supérieur à celui d’avant COVID. La publicité cinéma a aussi récupéré à peu près tout du terrain perdu pendant les confinements. Mais le succès du « out of home » se lit aussi dans la croissance qu’affichent certaines catégories de produits ou de services : tourisme, horeca, événementiel sont autant de secteurs où le « lockdown » s’est fait très durement sentir et qui semblent maintenant retourner à leur dynamisme d’avant crise. Le second fait majeur est beaucoup moins positif : les données de pige quantitative dont nous disposons sont de plus en plus désynchronisées (« out of sync ») avec l’évolution du marché publicitaire qui se digitalise et que nous ne pouvons suivre que de très loin., via des études générales, mais sans pouvoir approfondir sur ce qui intéresse réellement les annonceurs : ce qui se fait précisément dans leur secteur de produit, quelle est l’utilisation des médias -y compris digitaux- par leurs concurrents.

Il ne s’agit pas ici de blâmer l’opérateur : Nielsen est loin d’être seul en cause. Rappelons à ce propos ce qu’écrivait en 2018 la World Federation of Advertisers : « Advertisers seek the means to track their level of media spending, within their competitive set and within their category. This level of visibility is currently entirely absent from reporting due to platforms not participating in competitive spend tracking exercises, often leaving advertisers in the dark. We ask publisher and platform partners to help facilitate a solution to this challenge, by sharing impression level data with spend tracking companies.” C’était en 2018, c’était demandé par l’ensemble de leurs clients, mais les intéressés n’ont pas encore bougé sur ce plan. Et pourtant Facebook pour ne citer qu’eux est capable de chiffrer les investissements des partis et des personnalités politiques sur ses plateformes. Donc les techniques existent. Reste la volonté.

Recul global, mais il y a des nuances

Pris globalement, et en données faciales, le marché média 2022 en vision Nielsen Ad Intel a très légèrement reculé en valeur par rapport à l’année précédente. Du moins évidemment pour le périmètre couvert par l’opérateur, soit les supports offline. Les deux stars de ce classement sont donc l’affichage et le cinéma, où la comparaison avec l’année 2021 donne même un ratio de progression à deux chiffres. Pour l’affichage, la valeur cumulée 2022 dépasse fortement celle de 2019. Pour la « pub extérieure », le DOOH, soit l’affichage digital, représente pas moins de 52% de la croissance dans cette catégorie de médias.

Situation moins riante pour la presse gratuite locale, catégorie en voie d’extinction, avec la disparition de titres et la migration des annonceurs vers le digital. Pour les autres catégories, à part la radio qui enregistre un léger progrès, les ratios d’évolution sont négatifs.

Si on veut raisonner en termes constants, pour les catégories de médias où les données sont comparables, la moyenne d’évolution est très légèrement positive : +0.6%. Attention, il s’agit d’une estimation basée sur deux pondérations :

- Une égalisation stricte des périmètres d’un même média entre 2021 et 2022 : tout nouveau support ou tout support disparu est retiré de la comparaison

- Une prise en compte de l’inflation tarifaire, basée sur la comparaison de coûts moyens entre les deux années.

Exemple : la télévision affiche une évolution faciale de -3.9%. La comparaison à périmètre constant ne présente pas vraiment de différence. Par contre, le coût moyen d’un spot de 30"est en baisse de 9% entre 2022 et 2021 : du coup en termes constants, l’inflation négative -au niveau tarifaire- annule la baisse et monte la valeur TV à +5%. Ce phénomène de baisse du prix des insertions essaye de compenser l’évolution des audiences, mais ne parvient pas à juguler l’inflation. Lorsqu’on prend en compte le rapport coût/audience sur la population de 18 à 54 ans, la télévision affiche une hausse de 4% : c’est dire si ici aussi, l’inflation peut être une notion relative.

Autre exemple : en out of home, une évolution tarifaire estimée à 2% à partir des données Nielsen diminue la croissance de 26 à 24%, mais cela reste assez dynamique.

En données saisonnières courantes, l’évolution 2022 vs 2021 est assez divergente d’un mois à l’autre : plutôt positive au cours des premiers mois de l’année 2022, franchement négative pendant l’été, puis pendant les deux d’octobre (surtout) et de novembre, avant un redressement sur le dernier mois. On rappellera s’il le faut que le mois d’octobre 2022 a été celui du record d’inflation générale, à plus de 12%.

Toujours en euros courants, la répartition par média ne change évidemment pas dans sa hiérarchie. Simplement, la télévision devient (un rien) moins hégémonique. C’est la part de l’out of home dans le total qui augmente sensiblement, au détriment de l’ensemble des autres, sauf du cinéma.

Moins de pub, plus de promo ou plus de marge ?

Les secteurs les plus contributifs à la croissance sont assez souvent liés aux services, plus particulièrement d’ailleurs des services en rapport avec les activités extérieures , comme le tourisme, l’horeca, le transport ou l’événementiel. Mais aussi les télécoms et dans une mesure plus limitée le caritatif. Peu de catégories de produits de grandes consommations parmi les moteurs de la croissance, à l’exception des soins capillaires, des bières et des produits laitiers.

Par contre, on trouve pas mal de catégories issues de la grande consommation dans les secteurs qui ont le plus contribué à la baisse globale de la valeur média. De là à voir l’effet de l’inflation en surchauffe en 2022, il y a un pas assez facile à poser, d’autant que le secteur de l’énergie est lui aussi en fort recul. Le « post-COVID » se lit dans la forte décrue des communications institutionnelles et de la vente à distance, qui reste néanmoins la 5e plus grosse catégorie dans le total.

La « long tail » des annonceurs

Le top 50 des annonceurs (qui exclut les annonceurs médias) reconduit les 5 premiers de l’année dernière à leurs places respectives. Il faut dire que tous sont en recul plus ou moins sévère, mais toujours limité aux médias offline.

Parmi les 50 noms ci-dessus, 20 affichent un recul en données constantes par rapport à 2021  29 affichent une croissance plus ou moins importante, dont 17 sont des scénarios de progression à (au moins) 2 chiffres ! Néanmoins le cumul des différents annonceurs de ce top débouche sur un gros -1%, soit une baisse plus importante chez ces gros acteurs que celle qui caractérise l’ensemble du marché. Par rapport à l’intérêt du « out of home » on remarquera parmi les plus grosses progressions celle du groupe de Basic Fit (+79%), celle de Burger Brands (+50%) et celle de McDonald’s (+46%) : des marques qui surfent sur l’activité extérieure. Par contre, sans doute une conséquence de l’envolée des étiquettes dans les supermarchés, pas mal d’annonceurs en produits de grande consommation sont en recul : Unilever à -36%, Nestlé à -35%, Pepsico à -31%, P&G à -25%, et la liste continue. L’histoire ici ne dit pas si la baisse est l’effet d’un report d’investissement vers le digital, d’un coup de frein sur la pub pour réorienter la communication sur la promotion des ventes, ou d’un coup de frein destiné à défendre les marges bénéficiaires. Il y a probablement de tout cela, à des degrés variables selon les marques concernées.

Les 50 premiers noms du classement ci-dessus représentent 46% du total (éditeurs et médias exclus) de l’année 2022 On retrouve donc dans l’univers des annonceurs selon Nielsen ce qu’on appelle la «long tail», cette courbe caractéristique où un petit nombre d’acteurs gère la plus grosse partie d’un marché (la « tête ») et où une multitude d’autres ne comptent que pour de très petites valeurs, avec une courbe qui descend très rapidement vers le bas, puis se prolonge très loin et quasiment à l’horizontale.

Cette  forte concentration n’est pas neuve et tend à se renforcer. Sur les trois dernières années, les 10% d’annonceurs les plus investis ont vu leur part du total croître de 88 à 90%. Donc, 90% de la valeur est due à 10% des investisseurs !

Quant au 1% des plus gros annonceurs, il pèse 50% du total de la valeur, une situation relativement stable, avec même une petite baisse par rapport aux deux années précédentes. Concentration un peu moindre donc au sommet, mais la différence est légère.

Le « online » en forme, probablement

Et le digital ? Le document UMA-UBA relatif aux investissements digitaux nets devrait être publié prochainement. On peut s’attendre -à confirmer- à une hausse de la part des canaux numériques dans le total publicitaire. Reste à voir de combien. Le World Advertising Research Centre (WARC) a déjà répondu : dans leur estimation de l’investissement média net en Belgique, ses experts situent l’ensemble des canaux digitaux à 39% du total tous médias, contre 36 en 2021. Selon leurs calculs le volume d’investissement en digital serait en hausse de près de 7% quand les médias « offline » se replieraient d’un peu plus de 7% de leur côté. Du côté offline, seuls le cinéma et l’out of home évolueraient favorablement en 2022 par rapport à l’année précédente.

Pour être clair, ces données nettes estimées sont invérifiables : le « réel investi » en média en Belgique ne peut être reconstitué que par supposition. Mais le tableau que brosse le WARC est incontestablement crédible.

Un contexte pas si dégradé que ça

Sur le plan économique, la Belgique a échappé au pire : malgré une inflation record, les Belges ont plus ou moins maintenu leur niveau de consommation. Citant GfK, le Soir annonçait une hausse de 2% des achats de produits de consommation en 2022, avec des consommateurs aux comportements très rationnels (ils essayent de passer à côté de la hausse des prix), mais pas à la diète pour autant [1] Selon la Banque Nationale, le PIB de notre pays aurait progressé de plus de 3% en 2022 par rapport à l’année précédente, avec même une hausse de 4% dans les services [2]. Services qui soit dit en passant se portaient pas mal dans les données Nielsen et qui ont peut-être soutenu leur croissance par de l’investissement média…

Comme lors de crises précédentes, il est possible que l’investissement média surréagisse par rapport aux évolutions de la consommation. En clair il se peut que le freinage de la publicité soit bien supérieur à celui qui s’opère sur la consommation et dans l’économie en général. C’est le moment de rappeler, comme le fait le Global TV Group (entre autres) que les marques qui maintiennent, voire augmentent leurs investissements au moment de difficultés économiques sortent des crises bien plus fortes que celles qui ont freiné sur l’investissement. Par ailleurs, la crise pourrait être moins sévère : les prévisions du Bureau du Plan pour 2023 font état de légères hausses possibles de la consommation des ménages et du PIB de la Belgique (respectivement de +0.7 et +0.5%) [3] : bref la récession -au sens d’une croissance négative- n’est pas nécessairement à l’ordre du jour, même si l’économie ralentit. Par conséquent, un gel de la publicité serait un nouvel exemple de réaction excessive à un contexte qui -c’est vrai- n’est pas tout à fait rassurant. Dans une enquête sur les comportements des annonceurs (français) en ce début d’année, le magazine professionnel Stratégies note plusieurs tendances : des comportements pas nécessairement alignés, mais variables suivant les marques, bref pas de coupure généralisée, une volonté de souplesse dans les investissements, et finalement un souci de rendement de chacun de ces investissements [4]. Pragmatisme donc : parions que ce sera le maître-mot de cette année.

Reste aussi  à espérer que les données à notre disposition intègrent enfin les gisements de croissance dans l’investissement média, bref que le « out of sync » se résolve en 2023. A ce stade malheureusement rien ne l’indique, dommage. Ce l’est d’autant plus qu’en out of home, on a la preuve du dynamisme du digital pour l’investissement publicitaire.


[1] “Comment l’inflation a réellement influencé notre consommation », Le Soir 07/02/2023.

[2] “Le scénario d’une récession ne semble plus à l’ordre du jour », l’Echo 31/01/2023.

[3] https://www.plan.be/uploaded/documents/202209081217490.20220908_PC_budget.pdf

[4] “Comment les annonceurs s’adaptent avec des budgets contraints », Stratégies n° 2160 02/02/2023.

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