CIM NRS 2021-2022: "next normal"?

La publication des données d’audience presse (plus de cinéma, cette fois) 2021-2022 vient d’être effective. Elle fait suite à une « année sans ». Et ramène l’étude NRS (« National Readership Survey ») dans une certaine normalité : il y a des « gagnants » et des « perdants », mais l’interprétation des résultats doit être un peu plus nuancée.

En très bref:

  • Face à une situation compliquée sur le terrain, lockdown plus ou moins strict oblige, les méthodes d’enquête ont dû s’adapter, d’où un mix inégalé de méthodes de recrutement.

  • Du coup, la comparabilité avec le passé est assez relative. D’autant plus relative que non seulement l’univers de l’étude a changé (on parle maintenant d’une populaton âgée d’au moins 16 ans), mais aussi le déroulement du questionnaire a été modifié.

  • La méthode utilisée pour obtenir les audiences « cross-platform », print et online, a beau être identique à celle de l’édition précédente, la base des audiences digitales injectées dans l’éude NRS n’est plus la même que celle de la NRS 2019-2020.

  • De ce fait, le « boost digital », soit le supplément net issu des lectures en ligne, est moins élevé qu’il y a deux ans, tout en restant substantiel : par rapport à la lecture des éditions papier ou proches du papier, les lectures sur écran « boostent » le chiffre global de 25% (il y a deux ans c’était 35%, à cause de circonstances exceptionnelles).

  • Sur le « core business » des titres de presse, soit la lecture sur papier ou équivalent, la comparaison avec le passé est loin d’être désastreuse, même si cette fois-ci elle profite plus à certains qu’à d’autres, mais c’est une constatation plutôt habituelle dans cette nouvelle édition NRS où le « new normal » rappelle par certains côtés le « old normal ».

On le sait : les éditeurs belges ont décidé de ne pas faire publier de résultats d’audience relatifs à la plus grande partie de la période COVID, vu le côté atypique de ces longs mois de confinement. D’où l’explication du hiatus entre cette publication et la précédente, qui remonte à 2019-2020.

Mais l’intervalle entre les deux n’est pas la seule caractéristique propre à cette édition.

Une étude profondément remaniée

Les données publiées aujourd’hui ont été rassemblées en 8 petits mois, de novembre 2021 à juin dernier. Le délai de réalisation est particulièrement court : la NRS était jusqu’ici typiquement étalée sur une année entière. Même s’il y a moins d’enquêtes réalisées (8.202 au lieu des ±10.000 habituelles), la réduction de la durée du terrain est proportionnellement plus importante. En revanche, la liste des méthodes de recrutement n’a jamais été aussi longue. A côté de la procédure traditionnelle en face-à-face (12% du volume total d’interviews), on a innové avec un recrutement postal, initié en avril 2022, et qui sur trois mois a amené 11% des répondants. Les résultats de ce recrutement postal sont étonnamment bons sur les moins de 35 ans qu’on n’aurait pas attendus nombreux via ce mode d’approche ! Mais, avec 44% du total, le recrutement téléphonique s’est avéré être la méthode la plus fréquente, ce qui aurait semblé impensable il y a seulement 3 ans ! Les deux autres canaux de recrutement ont été digitaux : access panels (26%) et panel CIM Mediawatch (7%). Bref, cette nouvelle étude repose donc sur un patchwork d’approches.

En cause évidemment les soubresauts COVID. Ils ont eu une lourde influence sur le taux de réalisation du face-à-face, qui était initialement prévu pour couvrir 29% des interviews : on en est très loin.

Tout ceci a eu une conséquence : on n’a jamais autant rempli en ligne les enquêtes NRS, comme le montre le schéma ci-dessous où le « CAWI » Computer Assisted Web Interview, est la modalité la plus fréquente. C’est dire si le passage du questionnaire en mode « mobile friendly » était indispensable.

Le déroulement du questionnaire est représenté ci-dessous. Il consiste en une séquence de questions-filtres sur la lecture même épisodique et quelle que soit la plateforme. Pour les titres positifs sur cette première question, viennent ensuite la partie consacrée à la lecture « dernière période » et les questions qualitatives (mode d’acquisition, volume de lecture…) relatives au papier, puis l’enquête s’intéresse aux mêmes données, mais pour les versions digitales et Web. La structure actuelle est un peu différente de celle de l’étude précédente (« 2020 ») qui ne passait aux filtres sur le digital qu’après les questions relatives aux versions papier.

Total Brand Audience: comme la dernière fois

Comme lors de la précédente édition,  l’étude d’audience presse publie deux indicateurs  d’audience principaux :

-          Papier+versions digitales « replica » : selon les éditeurs de presse, c’est là le standard de commercialisation de la publicité dans leurs titres

« Total brand », soit le lectorat net de l’ensemble des plateformes, qui résultent d’une fusion entre les données déclaratives papier+versions digitales telles que collectées dans le terrain d’enquête et les audiences en ligne mesurées par le CIM Internet., comme le montre le schéma ci-dessous :

Le lectorat Web, exclusif ou non, peut venir de différentes plateformes et se décliner sous différentes modalités, mais le CIM insiste -c’est normal- sur le CIM Internet comme source préférée des audiences online.

Ci-dessous une illustration des différentes modalités de lecture, selon la NRS :

Sans lien avec la diffusion

Précédemment avec les publications d’études d’audience, les données de diffusion (vente et autreq modes de distribution) permettaient une mise en perspective utile des données réunies par sondage sur le lectorat des titres. Réunies dans des périodes parallèles à celles des enquêtes de terrain NRS, ces données de diffusion donnaient un autre éclairage, parallèle ou non, sur la santé des titres de presse.

Aujourd’hui malheureusement, la relation entre audience et diffusion est moins claire que jamais :

  • Les audits de diffusion du CIM ne portent que sur les éditions papier et les éditions digitales payantes : aucune comparaison possible avec les données d’audience agrégées différemment. Nous n’avons en effet pas accès aux audiences papier, et celles du digital portent sur l’ensemble de la lecture, que le contenu soit payant ou non

  • Les « Brand Reports » publiés en même temps que l’étude actuelle ne communiquent de données de diffusion que sur l’année calendrier 2021, alors que l’audience telle que rapportée aujourd’hui porte principalement sur le 1er semestre 2022. Bref, il y a un décalage temporel (trop) important entre les deux types de données.

Bon à savoir

On examinera ci-dessous les résultats des titres individuels, par catégorie, en se basant sur l’audience dernière période (désignée « AIR » pour « Average Issue Readership ») sur l’ensemble de la population de référence CIM, soit les 16 ans et plus (au lieu de 12 ans et plus précédemment). Les regroupements de titres correspondent à notre propre vision des « familles » de presse.

On trouvera d’abord une comparaison entre lectorats papier +replica des deux dernières éditions. Puis uniquement lorsqu’il y a une différence entre « total brand » et « paper+replica », nous comparons les lectorats ‘total brand » des deux éditions.

Les variables « total brand » ne sont disponibles que pour les titres pris individuellement, à l’exclusion donc des groupages.

Toutes les combinaisons de titres ne sont pas reprises. Dans la mesure du possible, nous allons toujours vers la plus petite unité publiée.

Tendances générales : quand le digital apporte moins

En « paper+replica », les audiences dernières période sont plutôt stables pour l’ensemble des 85 titres étudiés. 23 d’entre eux affichent une évolution oscillant entre +4 et -4%. Les hausses plus ou moins importantes se situent chez les quotidiens francophones et les magazines bilingues. 23 titres, venus de tous les horizons, se situent dans une fourchette de -15 à  10%. Une autre vingtaine de supports est en progression de 10 à 30%, et elle est surtout composée de magazines.

En moyenne pondérée, les audiences « total brand » incluant donc les lectures en ligne sont en baisse de 7% par rapport à l’édition précédente. Les reculs les plus sévères sur cette modalité touchent les titres de presse quotidienne, mais en moyenne, le recul est généralisé. Seuls 24 des titres affichent des progressions (5% ou plus) par rapport à l’édition précédente sur la variable «total brand ».

En cause ? les audiences Internet. Pour la NRS 2019-2020, on avait eu recours à des informations mesurées en pleine vague COVID, au printemps 2020. Les données utilisées cette fois proviennent des observations réalisées de février à mars de cette année 2022.  Ne bénéficiant plus du « boost COVID » occasionné par le premier confinement, ces données sont plus modestes qu’auparavant.

Du coup, et de manière généralisée, le « boost » que la variable « total brand » apporte aux lectorats est cette fois plus limitée. Et ceci pour les deux catégories de presse concernées.

Difficile de trouver plus logique, car si on examine l’audience Internet telle que reflétée par l’étude CIM dédiée, la comparaison entre la période retenue pour la fusion précédente (mars à mai 2020) et celle publiée aujourd’hui (février-avril 2022) montre une différence sensible. Celle-ci n’a pu que se répercuter dans la partie online du lectorat, qui s’avère aujourd’hui moins volumineux que deux ans auparavant.

En détail, par type de presse

Le lectorat des titres de journaux connaît des évolutions variées dans sa déclinaison ‘papier+digital’. Globalement les titres flamands sont en position de stagnation ou de baisse à la seule exception du Tijd. Côté francophone, les ratios d’évolution sont généralement positifs et le net de tous les titres gagne quelque 5%, tout en restant nettement inférieur à la situation en Flandre.

La vue « total brand »est globalement négative en comparaison de la livraison précédente pour l’ensemble des journaux flamands. Ici aussi les titres du Sud du pays bénéficient parfois de comparaisons (un peu) plus flatteuses.

Les suppléments magazines des quotidiens sont plutôt bien orientés dans la modalité « papier+replica », avec deux titres nouveaux : Billie, supplément de Het Nieuwsblad, Gazet van Antwerpen et Het Belang van Limburg et MAX, supplément de La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province, La Capitale et Nord Eclair (soit les journaux Sudinfo).

Pour cette même catégorie de titres, l’apport des lectures en ligne semble avoir mieux fonctionné que lors de l’édition précédente, avec des augmentations parfois substantielles dans la modalité « total brand ». Deux reculs sévères pour Nina et Netto/Mon Argent, mais tous deux réunissent toujours de larges audiences.

Place maintenant aux magazines, toutes périodicités confondues.

Pour ce qui est du lectorat paper+replica, les magazines néerladophones sont partagés en deux : 12 titres en baisse plus ou moins sévère (de 2 à -33%) et 11 autres stables ou en progression (jusqu’à +20%). Difficile de trouver un fil rouge dans ces mouvements, qui ne semblent pas concerner une thématique ou une périodicité particulières.

Même partage équitable dans le domaine des magazines francophones et pour la modalité de lecture « papier+replica » : 10 titres en recul plus ou moins marqué par rapport à l’édition précédente, de -2% à -21% et 10 magazines en stabilité voire en progression, jusqu’à +29%, mais sur une audience très restreinte.

L’audience phénoménale du magazine Delhaize peut laisser perplexe : l’enseigne n’a-t-elle pas pris le pas sur le titre de presse ? Pour le reste, peu des titres ci-dessous doivent regretter la comparaison avec le passé, car assez peu d’entre eux sont affectés de lectorats en baisse par rapport à la dernière édition du CIM.

En général, cette édition n’est donc pas un mauvais cru pour un certain nombre de titres magazines.

Place maintenant aux audiences « total brand » pour les magazines, lorsque celle-ci s’avère différente de la modalité « papier+replica ». Ce qui n’est le cas que des 34 titres repris ci-dessous. En effet tous les 60 supports magazines inclus dans l’étude NRS ne bénéficient pas d’une déclinaison en ligne, ou alors celle-ci n’apporte aucun lectorat incrémental. Sans surprise ici, la plupart des titres affichent des audiences « total brand » en régression par rapport à celles de l’édition 2019-2020. Cela n’a rien d’étonnant vu l’évolution des audiences CIM Internet, mais cela frappe particulièrement ici. Seuls 10 titres arrivent à faire mieux et parfois bien mieux qu’à l’édition précédente, avec Humo, Ciné-Télé-Revue et Sport/Foot en tête. Mais ce n’est pas sur ces audiences « cross-platform » que la comparaison est la plus flatteuse pour les magazines.

Enfin, notre dernier tableau porte sur les quelques hebdos en mode « push », pour lesquels seule l’audience « papier+replica » est d’application. Grosses audiences en recul, et Bruzz en forte progression dans un lectorat -bruxellois- de niche.

« Total brand » : un indicateur essentiellement commercial

Pour rappel, la métrique « total brand » porte sur le nombre net de lecteurs d’un titre quel que soit la plateforme dans un intervalle de temps donné. Sa valeur aujourd’hui est sans doute plus fiable car sa partie digitale est basée sur la référence en la matière, celle du CIM Internet. Mais pour la partie digitale, il faut lire l’indicateur « total brand » plutôt comme un potentiel que comme un indicateur de performances réelles.

Rappel nécessaire : l’audience Internet injectée pour obtenir le « total brand » englobe la totalité des utilisateurs d’un site quel que soit leur volume de consommation de celui-ci et quel qu’ait été leur point d’entrée.

Or, en planning digital, on est rarement présent sur toutes les pages et ou toutes les rubriques d’un site, de façon à couvrir tous ses utilisateurs. On est présent à hauteur d’une « part de voix » (« Share of voice ») qui représente une fraction des contacts disponibles, mais rarement la totalité. Du coup, le nombre net d’utilisateurs varie suivant le share of voice, mais pas de manière linéaire.

L’exemple ci-dessous porte sur le package « NP », soit l’ensemble des journaux généralistes du pays, en un jour moyen. Il permet théoriquement de toucher environ 2.8 millions de Belges âgés d’au moins 16 ans, ou 30%. Mais en fonction du niveau d’investissement choisi – souvent inférieur au « share of voice 100% »- ce n’est pas ce niveau qui va être atteint, mais un peu moins, sans proportionnalité directe. Ainsi pour une présence « SOV » à 50%, on peut arriver à 86% du potentiel., et pour un « share of voice » de 60%, on est à 90% de la valeur maximale possible.

En résumé, l’audience « total brand » est un maximum plausible. Il ne sera généralement pas atteint. Il n’est donc pas un indicateur relevant de media-planning, mais une référence commerciale utile.

Ni catastrophique, ni euphorique

Cette dernière livraison de l’étude National Readership Survey est finalement assez commune. Elle fait des heureux et des malheureux. Mais comme souvent elle doit être lue avec rationalité : certains facteurs expliquent des évolutions a priori étonnantes. C’est le cas des audiences nettes « total brand’ : l’évolution de la consommation de l’Internet belge expliquent ici que le boost digital soit moins élevé qu’auparavant. La diversité des méthodes d’enquêtes doit aussi jouer, dans une mesure plus difficile à évaluer. Mais cette hypothèque méthodologique est aussi familière dans les sorties NRS, hier comme aujourd’hui.

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