Investissements médias 1er semestre 2022 : post-COVID, mais sous le signe de l’inflation

Pour l’investissement média, l’année 2022 ne sera pas simple. Placé sous le signe de l’inflation (sans parler du climat), le premier semestre affiche pour les médias offline une légère progression. Mais les adaptations de tarifs des médias brouillent un peu les pistes. De sorte que les estimations de valeur constante peuvent livrer des conclusions surprenantes.

En quelques chiffres:

+2%, en données courantes, c’est la différence globale entre la valeur mesurée au premier semestre 2021 par rapport à un an auparavant

-2% : le ratio d’évolution entre le premier semestre 2022 et la première moitié de l’année « normale » 2019, celle d’avant COVID : la récupération n’est pas tout à fait complète

46% : la télévision confirme une part de marché largement dominante dans l’univers « offline », même si elle cède du terrain

3% est la part du secteur des services tourisme loisirs dans le total de la valeur média offline. Il contribue pour 93% à la croissance en valeur entre la 1e moitié de 2022 et la même période un an auparavant. L’événementiel, le tourisme et l’horeca affichent d’ailleurs une belle dynamique en ce 1er semestre 2022

Top 5 : les 5 premiers annonceurs du classement offline de ce premier semestre 2022  sont les mêmes que l’année denrière : Colruyt, Procter & Gamble (qui étaient dans l’ordre inverse un an plus tôt), Ahold Delhaize, d’Ieteren et Coca-Cola.

1% est le ratio estimé par le World Advertising Research Centre (WARC) pour la croissance de l’investissement média net en Belgique pour les six premiers mois de 2022.

Notre source pour cette analyse est  la « pige » quantitative MDB Nielsen. Structurellement, cette source ne rend malheureusement pas bien compte de l’état réel du marché média dans notre pays :

-  Ces chiffres Nielsen ne portent que sur la partie « offline » des médias, alors que toutes les autres sources concordent pour dire que l’investissement en communication digitale est un secteur en forte croissance.

- La « valorisation » pratiquée par l’institut, soit la contre-valeur monétaire attribuée individuellement à chaque annonce, est fondée sur les tarifs en vigueur des supports concernés, sans tenir compte d’aucune condition commerciale, ni d’aucun abattement. Il s’agit d’un montant théorique maximal qui tient encore compte aussi systématiquement des 15% de commission d’agence, lesquels ne sont plus nécessairement d’application dans tous les médias, mais sont conservés pour l’historicité des données.

On ajoutera aussi que les investissemnents publicitaires en cinéma ne sont plus repris dans les données actuellement disponibles.

L’utilité de cette pige quantitative (« MDB-Nielsen ») est de permettre l’analyse et le suivi des plans médias déployés sur le marché belge. Sur les médias « offline », le but est atteint. Mais celui qui cherche la valeur réelle du marché média en Belgique n’y trouvera qu’une base d’estimation largement perfectible.

2% de croissance, peut-être plus en valeur constante

Le tableau ci-dessous reprend la valeur totale des catégories médias disponibles. Cinéma et presse locale gratuite sont traités à part. Le premier puisqu’aucune donnée n’a été transmise à Nielsen par les deux régies concernées, Brightfish et Transfer. Le second parce qu’on voit bien qu’il s’agit d’un type de média en voie d’extinction : au premier semestre 2022, la valeur attribuée à ce type de presse dans le Nord de la Belgique est virtuellement nulle. Les données faciales affichent une croissance très modérée, +2%. En valeur courante, toutes les catégories médias n’émergent que péniblement de la crise COVID : les journaux, la radio et le courrier publicitaire  sont encore sous leur niveau du 1er semestre 2019 ; les magazines ont out juste regagné et seuls télévision et affichage progressent en facial par rapport au niveau d’avant-crise.

Mais cette année en particulier, l’estimation de données constantes est particulièrement importante : l’inflation a fait un retour fracassant dans certains tarifs publicitaires des médias et dans le cas de la télévision, les adaptations des prix des spots publicitaires jouent un grand rôle dans l’estimation de la valeur constante. Tenant compte des diférences de périmètres et des évolutions tarifaires, la valeur diffusée du marché offline est en hausse de 6,6%, plus du triple des 2% en données courantes. Attention, cette progression est celle de la valeur gloable de la « pige quantitative » et pas nécessairement celle de la valeur financière réelle du marché.

Source: MDB-Nielsen Ad Intel/Space

Le cas le plus emblématique est probablement celui de la télévision. Les données courantes pointe le média à -4% en 2022 par rapport à la même période de 2021. Dans le même temps, les tarifs moyens des spots 30", le format de référence, ont diminué de 13.5% par rapport au premier semestre de 2021. Cette adaptation a permis aux chaînes de maintenir plus ou moins inchangé le rapport coût-audience sur les 18-54 ans au cours du premier semestre 2022 par rapport à l’année précédente. Mais cette adaptation fait que, en valeur tarif, les annonceurs ont pu planifier plus de spots publicitaires : le cumul de la durée de pub diffusée a fortement progressé, même si la valeur tarif a, quant à elle, régressé.

Dans les autres cas, les adaptations tarifaires peuvent également jouer un rôle important. Pour le direct mail, le coût à l’unité a progressé de 6,7% à péimètre constant et cette inflation « mange » donc les 2% de progression faciale.  Dans le cas des magazines, l’évolution à titres constants donne une valeur en progression de plus de 7%, mais les tarifs publicitaires étant en hausse de plus de 6% de leur côté, ils voient leur croissance ramenée à 1%. Pour la radio, la croissance faciale important, de l’ordre de 7%, est elle aussi avalée par une progression tarifaire estimée à plus de 6% (tarif moyen du spot 30"). La forte progression de l’affichage est quelque peu freinée par une adaptation tarifaire de l’ordre de 4%.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la croissance de ce premier semestre 2022 est donc tirée essentiellement par la forte évolution de la télévision et de l’affichage. Les apports des autres catégories de supports sont nettement plus modestes, que ces appports soient positifs ou non.

Source: MDB-Nielsen Ad Intel/constant value

Dans le total resserré des médias offline tel qu’il ressort des données Nielsen Ad Intel, la télévision reste largement dominante, même si elle cède un peu de terrain. Ce report (en données courantes) bénéficie essentiellement à l’affichage. En part du total, ce média a d’ailleurs dépassé son niveau d’avant-COVID (1er semestre 2019).

Le post-COVID pour les secteurs de produits

Toutes les macro-catégories de produits n’ont pas contribué positivement au résultat global, si on pratique la comparaison la plus facile et la plus habituelle avec l’année précédente. Les plus fortes contributions au résultat global sont à mettre au compte de l’agrégat culture, tourisme, loisirs sports (et à l’intérieur de celui-ci, l’événemtiel et le tourisme, qui ont évidemment bénéficié de la sortie de pandémie), des services, de l’ensemble santé bien-être. Suivent ensuite les télécoms et l’habillement. Jusqu’ici moteur des investissments, la distribution stagne dans son ensemble, mais à un niveau élevé.On enregistre par ailleurs de sévères reculs dans des catégories où les crises successives -COVID et guerre en Ukraine- ont pu impacter durement prix ou disponibilité des produits, comme dans l’alimentation, le transport ou encore l’énergie.

Source: MDB Nielsen Ad Intel/ current data

Zoom maintenant sur les secteurs de produits., avec plus de précision, mais aussi les deux bases de comparaisons.

Par rapport à 2021, les plus de  33 millions d’euros de valeur médias incrémentale résultent de la somme de secteurs en croissance parfois forte et d’autres en régression. Si on examine d’abord les 10 catégories qui ont le plus contribué à la hausse de la valeur, l’événementiel, le tourisme et l’horeca semblent émerger de la longue période pandémique. Même constat pour la distribution physique. Ce qui frappe ici, c’est que parmi les 10 secteurs les plus dynamiques en ce début de 2022, on note une forte majorité de services. Seuls la pharmacie et les télécoms portent vraiment sur des produits physiques.

Les difficultés d’approvisionnement sont sans doute à l’origine de la forte contre-performance de l’industrie automobile dont la valeur média a perdu 19% dans les six premiers mois de 2022 par rapport à l’année précédente. Forte décélération aussi pour la vente à distance, avec un contraste important par  rapport à la distribution physique. La liste des contributions négatives ci-dessous est par ailleurs très diverse : elle comprend aussi bien les catégories déjà évoquées que des produits de consommation courante (hors alimentation et boissons), des commodités ou du loisir.

Top annonceurs : tout en contrastes

Etablie en termes de visibilité dans les médias offline, la liste des principaux annonceurs (en excluant les éditeurs) est assez contrastée. Chez 21 d’entre eux, la valeur courante est en baisse par rapport au premier semestre 2021 avec des écarts allant de -5 à -56% (Vinted). La liste des annonceurs « baissiers » comporte de grands noms, comme ceux de Nestlé, Unilever ou Procter & Gamble.

A l’autre bout du spectre, 26 noms affichant des progressions de 1 à 158% avec 4 cas de progressions à 3 chiffres : Belfius, 3I Group (Basic Fit) ; Ramses Game (Starcasino.be) et BNP Paribas.

Les contrastes existent aussi à l’intérieur des secteurs de produits, où les annonceurs concurrents peuvent avoir des comportements différents.  Néanmoins le top 5 des principaux annonceurs de ce premier semestre 2022 est constitué des mêmes acteurs qu’un an auparavant, tous en régression, mais à des degrés divers.

Source: MDB-Nielsen Ad Intel/constant value/excluding media & publishers

A noter enfin que le classement ci-dessus  considère à part chacune des entités regroupées par Nielsen sous la catégorie « Communautés et Régions » qui apparaitrait sinon en 12e position. Il nous semble en effet exclu de regrouper sous la même étiquette des centres de décisions aussi différents que la Communauté Flamande, les régions wallonne ou de Bruxelles Capitale ou la Communauté Germanophone. Parmi ces entités, la Communauté Flamande est la plus visible en 35e position.

A eux seuls, les 50 premiers noms du classement ci-dessus représentent 44% du total (éditeurs et médias exclus) au premier semestre 2022 On retrouve donc dans l’univers des annonceurs selon Nielsen ce qu’on appelle la « long tail », cette courbe caractéristique où un petit nombre d’acteurs gèrent la plus grosse partie d’un marché (la « tête ») et où une multitude d’autres ne comptent que pour de très petites valeurs, avec une courbe qui descend très rapidement vers le bas, puis se prolonge très loin et quasiment à l’horizontale.

Cette hyper-concentration n’est pas nouvelle et tend à se renforcer. Sur les trois dernières années, les 10% d’annonceurs les plus investis ont vu leur part du total croître de 86 à 89%. On est donc proche d’un rapport à 90/10, 90% de la valeur due à 10% des investisseurs.

Source: MDB-Nielsen Ad Intel/excluding media & publishers

« Think big » également dans le haut du classement. Le 1% des plus gros annonceurs pèse 47% du total de la valeur, avec un gain de 6 points par rapport à 2020.

Source: MDB-Nielsen Ad Intel/excluding media & publishers

Cette analyse confirme une concentration de la valeur média chez de gros acteurs et un affaiblissement de la présence des autres. Attention : ces remarques ne sont valables que dans l’univers Nielsen, soit celui -pas nécessairement en croissance-  des médias offline.

Et le digital ?

Des données relatives au digital au cours du 1er semestre 2022 devraient bientôt être publiées par l’association des agences médias, l’UMA. Ces informations ne sont pas constituées de la même façon que Nielsen et ne sont donc pas entièrement comparables.

En attendant, le World Advertising Research Centre estime de son côté que l’ensemble du marché média belge aura progressé en chiffres nets d’1% au cours du premier semestre 2022. Mais le marché serait toujours légèrement en-dessous du total qui prévalait avant la crise COVID (-3% par rapport au 1er semestre 2019). La même source accorde au digital une part supérieure à celle de la télévision dans le total des investissements en Belgique, ce qui n’est pas nécessairement avéré via d’autres estimations et notamment l’UMA en 2021 voyait télévision et digital se rapprocher (respectivement 36 et 34% du total média) [1], mais les positionnait encore dans un ordre inverse de celui du WARC. De toute façon, la bascule pourrait être pour bientôt.

2022, toujours la crise

Les six mois suivants de 2022 n’apporteront pas un bon contexte pour l’investissement média. La flambée des prix à la consommation devrait en effet continuer à impacter les budgets des ménages. Avec des niveaux historiques de pratiquement 10% d’inflation (9,9% selon la méthode Eurostat) au 2e trimestre 2022 (et même 64% pour l’énergie) [1], il est évident que les comportemnents des consommateurs vont s’adapter.

La Banque Nationale reflète d’ailleurs le blues du consommmateur belge dans son suivi mensuel de la confiance (graphique ci-dessous) [2] : on n’est pas au niveau de la crise COVID, mais on ne peut pas dire que la confiance soit au beau fixe :

Source: National Bank of Belgium

Tout ceci indique qu’on parlera encore beaucoup d’inflation dans les prochains mois. Non seulement celle des tarifs publicitaires (voir plus haut), mais aussi celle qui affecte les paniers de course et autres gros achats. Nul doute que tout cela aura un impact, probablement important, sur le développement des investissements publicitaires. La crise COVID est peut-être derrière nous, mais ce n’était pas le dernière.

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